Nabal a écrit:PS1 : Tuan, tu sembles le connaître parfaitement, pourrais-tu m'en parler à ta façon ?
Comme je suis de nature un peu flemmarde, je te dirais bien de te reporter à l'article de 5 pages que j'ai consacré à Fred dans LPDC n° 88 (août 2006)… mais pour répondre plus directement à ta question, je dirais d'abord qu'il n'y a aucun diktat qui oblige à aimer les couteaux que fait Fred (et ça s'applique à n'importe quel coutelier), ni, comme on l'observe trop souvent dans le domaine de l'art en général, aucune obligation de chercher à comprendre dans l'optique de faire évoluer son goût en ce sens, ou pour à l'inverse se conforter par une argumentation "raisonnée" dans ce qui est une perception légitime et spontanée.
Plus généralement, et pour reprendre une nuance qui a fait ici aujourd'hui l'objet de débats animés, le goût (ou le "dégoût) de chacun est parfaitement légitime, autant que le droit de l'exprimer. C'est fort heureusement la diversité des goûts qui fait la richesse de chaque domaine d'expression artistique, artisanale, esthétique, pratique ou conceptuelle, et on n'a pas à se sentir "décalé" si on n'adhère pas forcément à l'enthousiasme, voire l'engouement pour des valeurs qui émergent de façon significatives et/ou communément reconnues par les afficionados du genre. En clair, nul n'est tenu d'aimer à la fois Bach, Messiaen, Piaf, Brassens, Led Zeppelin, Chet Baker et Grand Corps Malade, même si certains peuvent prendre un même plaisir à écouter indifféremment tous les genres.
Maintenant c'est une chose que d'exprimer son goût, son indifférence ou sa réticence par rapport à un style, c'en est une autre que de poser un jugement qualitatif sur le travail d'un artiste ou d'un artisan.
Dans la cas particulier de Fred, et pour les remarques qui peuvent souvent - indirectement - lui être adressées, la question de la "finition" est souvent un débat récurrent ; certains collectionneurs, habitués aux mécaniques façonnées sur des machines CNC lui reprochent par exemple souvent un aspect "crude" de ses réalisations ; cela s'apparente quelque part à un type de discours qu'on rencontre fréquemment dans l'art moderne ou contemporain, de la façon dont par exemple était souvent interpellé Picasso (non que je compare Perrin à Picasso, quoi que... toutes proportions gardées...
) et qui disait en texture : "vous avez fait ce dessin en 15 minutes, qu'est-ce qui justifie un tel prix ?" ou encore "mon fils de 5 ans est capable de faire la même chose". Ce à quoi Picasso répondait gentiment "15 minutes ET vingt-cinq ans de travail derrière", et en 1943, visitant avec Brassaï une exposition de dessins d'enfants il lui confiait : "il m'a fallu toute une vie entière pour apprendre à dessiner comme eux..."
Pour Fred, c'est la fonction qui fait l'usage, le couteau est avant tout un outil, et le devoir du coutelier est de lui faire répondre au mieux à cette exigence. Comme il aime souvent à dire "une manche, une lame, tout le reste est cosmétique". La fonction et l'usage (le contexte et l'utilisateur final) décident du cahier des charges initital qu'on pourrait résumer ainsi à : pour quoi, pour qui, comment ? De ce cahier des charges découlent les différentes composantes de l'élaboration du couteau, profil, matériaux, techiques de forge, stock removal, émouture, dans ce sens là et non pas l'inverse. Il ne s'agit pas de faire un couteau pour faire un beau couteau et se demander ensuite à quoi il sert. A ceci s'ajoute probablement une philosophie très pragmatique chez Perrin qui consiste à savoir faire avec très peu de moyens (aciers, outils et matériels) un couteau immédiatement opérationnel et performant, c'est à dire vraiment coupant, durable à l'usage, et facile à entretenir (notamment pour le réafilage).
Alors autant on peut considérer parfois les couteaux de Fred comme très bruts et "rustiques", autant qualifier ça d'un "bout de métal tordu vendu 100 euros" me semble un peu court jeune homme (@Icarus) pour ne pas dire autre chose...
Il faut également être conscient qu'une bonne part de la production de Fred s'adresse à des univers militaires ou à de professionnels de la sécurité, pour lesquels il assure par ailleurs des formations spécifiques ; pour les utilisateurs lambas que nous sommes, ruraux ou citadins, certains de ses concepts/designs ne correspondent sans doute ni à notre culture ni à nos usages quotidiens, mais par détournement peuvent néanmoins nous faire usage. Sa fascination de toujours pour les petites lames et autres accessoires S.O.E. (Special Operations Executive, dont la mission était de soutenir les mouvements de résistance durant la seconde guerre mondiale) ont donné naissance à de multiples lapels daggers, kiridashis et autres objets incongrus tels le criterium déjà cité, et n'ont bien entendu pas vocation à partir à l'assaut du saucisson à l'apéro ou de l'entrecôte fut-elle saignante...
Le Street Bowie, ou plus récemment le PPF et le Military Bowie ne sont pas non plus des EDC courants pour le public qui fréquente les forums, plus généralement enclin à se tourner vers des pliants traditionnels.
Fred est néanmoins capable de réalisations très soignées, des pièces qui restent cependant statistiquement relativement rares à l'échelle de sa profilique production (certaines années plus de 300 pièces customs fait main) - et très souvent captées à la source par son entourage direct
- car plutôt que de passer plusieurs journées sur un gentleman folder en damas avec inserts précieux il préfère dans le même temps produire une dizaine de couteaux dont il sait que ceux là vont immédiatement servir et ne pas dormir dans un coffre ou une vitrine.
Pour terminer ce rapide résumé car il est tard, que je me sais incorrigiblement bavard et que j'ai encore un article en retard à boucler, je dirais que l'essentiel réside dans la constante qui caractérise à mes yeux le boulot de Fred, et qu'on entend la plupart du temps dans la bouche de ses utilisateurs : quand on prend un Perrin, on n'a pas peur de s'en servir et on est sûr que ça coupe.
gm67