Voici un petit article sur un petit couteau Coréen méconnu le « Jangdo », j’en avais fait un bref descriptif dans ma collection mais je crois qu’il mérite qu’on s’y attarde un peu. Désolé pour la longueur du texte mais il y a tant de choses à dire sur les couteaux coréens. Le style est également perfectible et il doit y avoir des fautes, j'ai écrit tout ça très vite entre hier et aujourd'hui pour coller à l'actualité puisque la cuisine Coréenne est à l'honneur dans le dernier LPDC.
Il est difficile de parler de la Corée sans faire de comparaisons avec le Japon. Les deux pays qui sont voisins géographiques se sont constamment confrontés pour le bien et le pour le mal au cours de leur histoire. Au cours des siècles, il y eut des guerres à répétition, beaucoup d’échanges et leurs destins ont été liés pour le meilleur et pour le pire.
Les deux cultures ont de nombreux de points communs, du point de vue de l’architecture, de la cuisine et des arts, mais cultivent aussi de grandes différences dans les usages et même la vision du monde.
Beaucoup d’éléments de la culture japonaise ont une origine coréenne: la poterie des Céladons vient du Pays du matin Calme, comme le bouddhisme et certaines techniques d’architecture et on a retrouvé des objets coréens de l’âge du bronze dans les tombes des premiers empereurs du Japon (ce qui laisse à penser qu’ils sont plus ou moins originaires du continent).
Les Japonais ont bien sur brillamment interprétés ces apports et se les sont appropriés pour créer leur propre civilisation originale et la Corée a continué à développer la sienne, coincé entre la superpuissance impériale chinoise et un voisin insulaire guerrier et agressif. Historiquement, la Corée a toujours été un pays paisible, non-expansionniste, obligé de se défendre contre les visées territoriales de ses puissants voisins.
Guerriers Hwarangs coréens
Pour revenir au sujet qui nous intéresse, l’age du fer puis la métallurgie de l’acier sont arrivés au Japon par la Corée qui a un moment de son histoire était plus avancée que lui dans ce domaine.
Pourtant, par la suite les techniques de forge ont été perfectionnées dans l’archipel vers des sommets jamais atteints auparavant alors qu’en Corée il ne s’est rien passé de similaire. La technologie a stagné et comparé à son voisin proche, la Corée n’a pas développé de mystique du sabre et jusqu’à aujourd’hui apparaît comme un pays ayant une « culture du couteaux » très peu développée.
Un voyageur amateur de belles lames, candide et non averti pourrait même facilement s’imaginer que c‘est un pays sans couteaux. Pourquoi donc cela ?
La Corée était jusqu’au XIVe siècle un royaume bouddhiste dans lequel les forgerons étaient respectés et même privilégiés. Cette situation change avec l’avènement de la dynastie Chosun (1392-1905) qui adopte officiellement le confucianisme comme religion d’état. La société confucianiste qui en résulte est divisée en classes avec les nobles lettrés en haut de l’échelle et les forgerons relégués tout en bas avec les bouchers et les prostitués.
Contrairement au Japon, il n’a jamais existé sur la péninsule de caste de guerriers zen fascinés par la mort et vouant un culte à leur sabre et ainsi, à défaut d’une clientèle d’amateurs fanatiques et par manque de considération, le savoir des forgerons coréens ne s’est transmis que très peu d’une génération à une autre. Souffrant de discriminations, les forgerons ne voulaient pas que leur progéniture subisse le même sort et disparaissaient avec leurs secrets.
Pourtant c’est à cette même époque Chosun que l’on commence à porter couramment le seul et unique couteau emblématique coréen, le Jangdo.
Parce que hé oui, il y a bien un couteau national Coréen. Un pays sans couteau, ça n’existe pas.
Le Jangdo est un petit poignard fixe pouvant aller de la taille d’un tanto respectable d’une trentaine de cm à des versions beaucoup plus petites de moins d’une dizaine de cm.
La forme de la lame en acier au carbone ressemble d’ailleurs à son homologue japonaise par sa pointe dans le prolongement du dos.
Fermé il est complètement symétrique, le manche ayant la même taille et la même forme que le fourreau. Seuls de petits détails décoratifs permettent de les reconnaître.
Le manche et l’étui font l’objet d’un travail décoratif dans lequel s’exprime le génie artisanal des Coréens.
Le Jangdo étant un symbole de statut social, les matières les plus nobles et précieuses sont utilisées : or, cuivre, ambre, jade, corail, laque, ivoire ou bambou, os et bois rares. La lame est souvent gravée de caractères et de motifs et le couteau est dès l’origine à la fois utilitaire et décoratif, faisant quasiment partie du costume traditionnel.
Le Jangdo était dans l’ère Chosun un objet si prisé que les autorités en offraient souvent en cadeaux aux ambassadeurs ou aux dignitaires étrangers en visite. Typiquement, les Chinois offraient des textes bouddhistes et de la soie, les Coréens des Jangdo et du Ginseng.
On dit aussi que le fameux roi Sejong portait un Jangdo de la région de Gwangyang, très réputée pour ses couteaux, et que seuls les nobles étaient autorisés à porter les Unjangdo, des Jangdo précieux en argent ouvragé dont on pensait que le métal des baguettes s’oxydait en présence de poisons dans les aliments.
Le roi Sejong, un des monarques les plus important de l'histoire coréenne.
C’était également une coutume d’offrir ces couteaux au cours d’une cérémonie quand un enfant arrivait à l’age adulte ou quand une jeune femme se mariait. Le couteau était alors considéré comme une protection symbolique contre le mauvais sort.
Les hommes l’attachaient à la ceinture ou à un cordon du manteau, les femmes sous la jupe ou bien près du cœur relié à un Norigae (un petit pendentif en soie).
Lettrés et courtisanes de l'époque Chosun. La danse avec les sabres est d'origine chamanique et toujours pratiquée aujourd'hui.
Dame de l'époque Chosun
Le couteau est conçu au départ comme une arme de défense et comme un petit couteau utilitaire portatif qui sert pour peler les fruits ou pour manger en voyage grâce à de petites baguettes attachées au fourreau de certains modèles.
C’est d’ailleurs assez révélateur de l’histoire de la Corée que son couteau le plus représentatif soit une arme de protection alors qu’au Japon, le Katana et le Tanto sont des armes d’attaques.
C’est que la Corée vit des temps troublés. Des invasions japonaises extrêmement violentes menées par Toyotomi Hideyoshi ont lieu vers le milieu du XVe siècle et pour les femmes le Jangdo devient l’arme du dernier recours, celle qu’on utilise pour se suicider en se tranchant la gorge afin d’éviter le viol et les ultimes outrages.
Les troupes japonaises débarquent à Busan
Le même phénomène se reproduira en 1905 lorsque le Japon colonise brutalement la Corée, assassine la dernière reine de la dynastie Chosun et entreprend de japoniser les Coréens. Les sabres historiques, les armures et de nombreux trésors historiques furent détruits et pillés par les occupants qui tentèrent même de changer les noms de famille et d’oblitérer la culture coréenne.
Le jangdo devient alors l’arme privilégiée des femmes : petit, ne dépassant pas la taille de la main et très décoré de manière à ressembler à un ornement inoffensif que l’on peut porter ouvertement sans attirer l’attention.
La Chine et le Japon en train de pêcher la Corée sous les yeux des Russes
Il ne faut pas oublier qu’au cours de cette période noire, les Japonais envoyaient de force des coréennes en esclavage sexuel dans les bordels de l’armée impériale et de nombreuses femmes préféraient mettre fin à leurs jours pour éviter ce triste sort.
Après la défaite japonaise, l’histoire tragique de la Corée se prolonge, le pays est ravagé par la guerre civile entre le Nord communiste et le Sud pro américain. Les arts populaires manquent de disparaître dans la tourmente, la population éprouvée ne pensant plus qu’à survivre. Au final, le pays se retrouve divisé pour la première fois de sa très longue existence, à nouveau victime de ses voisins et des grandes puissances.
Des milliers de déplacés et de réfugiés sont sur les routes.
Les bassins miniers et industriels du Nord tombent entre les mains du régime de Kim Il Sung, le Sud, traditionnellement agricole doit repartir de zéro.
L’art de forger des vrais Jangdo se perd.
Avec le renouveau économique, on recommence bien à en fabriquer, mais ils ressemblent plus à des articles de joaillerie que de coutellerie. On les achète dans des bijouteries à l’occasion des mariages pour les offrir en cadeaux à la mariée et ils ont soit des lames de pacotilles en mauvais acier soit carrément en or et en argent, ce qui leur enlève toute utilité pratique.
L’arrivée massive de GI’s américains, suivie de celle des touristes post jeux Olympiques, stimule toute une industrie de bimbeloterie et de souvenirs caricaturant l’ancien savoir artisanal dont le Jangdo fait évidemment partie. C’est cette version cheap et voyante que le voyageur pressé rencontrera le plus souvent.
Dans les années 60 a lieu un mouvement pour faire revivre les arts traditionnels coréens. Un homme va sauver l’art ancestral du Jangdo. Cet homme c’est le maître forgeron Park Yong Ki.
Né en 1931 dans la province du Gwangyang, celle justement d’où venait le fameux couteau du roi Sejong, Park est ce qu’on appelle un « Jangdo Jang », un artisan spécialisé dans la fabrication du Jangdo. C’est même le Jangdo Jang le plus connu de Corée puisque le gouvernement coréen lui a décerné dans les années 70 le titre de Trésor Culturel Vivant n°60 et qu’il fait, à ce titre, partie du patrimoine de la Corée du Sud.
C’est un puit de savoir et une vraie bibliothèque vivante.
Il ne travaille qu’à la main, fabricant lui-même ses propres outils, en suivant scrupuleusement la technique en vigueur durant l’ère Chosun. C’est parce qu’à un moment de l’Histoire il fut le seul en Corée à encore connaître ce savoir faire qu’il a été distingué par sa Patrie. Sans lui l’art se serait peut-être perdu.
Différents Jangdo de Park Yong Ki:
Park a commencé à faire des couteaux à 12 ans et a appris son art auprès d’un vieil artisan à la fin de la deuxième guerre mondiale. Depuis il consacre sa vie au couteau Jangdo, formant des disciples pour que la technique se perpétue.
En 2006 il a ouvert un musée ultra-moderne consacrée aux couteaux et à la forge dans sa province natale.
Il est toujours vaillant après plus de soixante ans de métier.
Son fils Park Chong Kun, qui prend la succession du paternel, dit que celui-ci a dû faire 200 Jangdo dans sa vie, précisant qu’il faut entre 3 jours et un an pour en faire un, suivant sa taille et la complexité de la décoration.
L’acier est acheté pas loin de leur atelier chez Posco Steel Company à Gwangyang City et il utilise du charbon de bois standard avec une haute teneur de carbone pour le chauffer.
Les lames sont trempées dans des bains successifs : argile liquide, dengiang (un dérivé du soja), cyanide de potassium et poudre d’os de vache avec de subtiles variations dans l’ordre et la durée suivant le résultat recherché.
Le travail du manche, du fourreau est bien sur fait entièrement à la main.
Les couteaux de Park sont des petites merveilles de précision, d’harmonie et de raffinement et conjuguent les matériaux les plus recherchés.
Sur ses lames Park grave une fleur de « Maehwa » (abricot japonais) abstraite qui symbolise sa philosophie « un corps sain et un seul esprit » et un dragon, lui aussi abstrait qui représente la vertu et la chasteté.
Dans une interview Park Yong Gi raconte « Pour faire un Jangdo le plus important c’est d’avoir un esprit pur et clair. Le sens littéral de « Jangdo » c’est le « noble art » et il est vital de toujours garder à l’esprit la beauté de la métallurgie ».
Il insiste également sur le fait qu’un Jangdo est une arme de protection et non d’attaque.
Aujourd’hui d’autres artisans ont repris le flambeau, mais sont beaucoup moins connus comme Choe Young Mook et Choi Sang Gi .
Trouver un vrai beau Jangdo n’est pas une chose facile. Comme c’est des customs faits à la main ils ne sont pas vraiment mis en grande circulation. Je pense qu’un Jangdo assez simple de Park Yong Ki doit valoir plusieurs centaines d ‘euros.
À Séoul, il faut aller traîner dans les boutiques d’art traditionnel ou d’antiquaires du quartier d’Insadong ou dans les rayons de certains grands magasins de luxe comme Lotte et Shinsagae et beaucoup chercher. Il y a aussi des marchés aux puces.
La tradition d’en offrir aux jeunes mariées est toujours respectée mais ce sont généralement des couteaux-bijoux avec des lames qui ne coupent pas. C’est pourquoi certains les qualifient un peu hâtivement de « couteaux de mariage », une appellation un peu condescendante pour un couteau aussi riche d’histoire.
Quelques photos de Park Yong Ki au travail
Le voyageur curieux et ayant un peu de temps se rendra chez Park Yong Ki dans le Sud du pays (pas bien grand) et pourra y visiter son atelier et son musée.
The Unjangdo Museum
(Kwangyang Jangdo Pak-mul-gwan)
Kwangyang City, Cheonam Province
Tel: (061) 762-4853
(061) 763-0510
Fax: (061) 762-0551
e-mail: jangdojang60@naver.com
Le site du musée :
http://www.jangdo.org/main2.html?pageNu … cont=02_01