Je me suis mal exprimé: il ne s'agit pas de volonté de tromper ou d'induire délibérément en erreur les gens, mais de mou méthodologique (comme dans "donner du mou") qui, combiné à des biais de confirmation, fait voir une simple théorie comme une quasi-certitude. C'est un soucis dans le sens où il a de l'autorité dans le milieu, et que le milieu aime les découvertes de ce genre. SI tu es un peu habitué des concepts de zététique, tu dois bien connaître les effets de révélation, etc... Là on a la rencontre d'un certain nombre de facteurs propices à la "méperception" de la portée réelle d'une théorie. Le soucis, c'est que les personnes qui font autorité n'exemplarisent pas toujours la rigueur méthodologique (et épistémologique), mais plutôt l'intuition et le biais de confirmation. C'est pour ça que j'aime bien Matt Easton, lui a beaucoup de réserve, et n'hésite jamais à dire "I don't know".
A mon sens, la théorie de Roland sur les cocked hat pommels est sans fondement. Mon expérience de collectionneur et d'utilisateur d'outils et d'artisan coutelier me fait dire que la prise en main qu'il propose est sans avantage de force de frappe sur une simple prise à deux mains sur la fusée (la main gauche venant enserrer la main droite), voire qu'elle est nuisible. Cependant, en l'état c'est une simple opinion, et je cherche à réfléchir à un processus expérimental pour confronter, avec un pommeau cocked hat, la prise proposée par Roland et celle à deux mains dont je parle ("prise gourdin", on va dire). J'ai deux lames dont je peux disposer pour essayer d'y adapter un cocked hat pommel:
-une lame de Hanwei basket hilt backsword (que j'ai démonté, mais comme les filetages sont absolument merdiques je n'ai jamais pu la remonter convenablement)
-un waster Berbekucz type épée normande avec pommeau en noix du Brésil, dont j'ai significativement raccourci la poignée pour correspondre à une longueur histo.
Au prix d'un peu de travail, je peux leur confectionner des pommeaux cocked hat (il faut en plus faire une garde simple pour la lame de backsword). Aucune de ces lames n'est réellement idéale pour simuler une épée du XIIIe siècle, on est d'accord, mais le but étant de tester l'influence de la prise en main, il ne me semble pas que ce soit susceptible d'invalider le résultat, surtout que les deux lames sont assez différentes et introduisent une diversité tendant à mitiger les effets d'un choix de lame pas hyper cohérent.
Ayant (dans le principe) les deux épées à tester, il faudrait surtout trouver un moyen de mesurer avec fiabilité et répétabilité la notion de "force du coup". Il me semble que le plus pratique serait de frapper dans une masse compacte, articulée au plafond par une tige, et dont on mesurerait le déplacement, qui serait une mesure indirecte de la force du coup. Comme il s'agit simplement de comparer des forces de coup relatives, on en a un peu rien à cogner de l'exact correspondance force du coup -> déplacement mesuré, du moment que c'est une fonction strictement croissante (à une force de coup plus grande, correspond toujours un déplacement plus grand). Ce qui fait qu'on peut ignorer tous les frottements et blocages dans le dispositif de mesure, étant attendu qu'il soit dimensionné pour être tout de même relativement sensible en regard des coups de bourrins qu'il est conçu pour mesurer. Petit schéma en mode haute ingénierie thiernoise (représente, tavu):
Pour préciser le fonctionnement de ce dispositif hautement technologique, la mesure du déplacement s'effectue simplement en attachant un bout de ficelle au bas de la tige du balancier, sur laquelle est pincée une pince à linge, qui vient buter contre une équerre fixée au sol. La pince à linge permet de mesurer très simplement la longuer de ficelle qui s'est dévidé, donc le déplacement du balancier. Je suis preneur d'idées pour la nature du balancier: il faut que ce soit pas cher, que ça résiste aux coups de bourrins donnés et par le waster Berbekucz, et par la lame presque tranchante Hanwei (encore que je puisse la padder avec du tapis de sol ou un truc dans le genre), qu'on puisse enfiler la tige dedans (ce qui exclut les ballons gonflés), et que ce soit quand même relativement ferme pour ne pas absorber une partie trop importante de la force du coups.
Je peux compter sur au moins quatre autres "testeurs" qui ne sont pas au courant de l'objet de l'expérience, et sont moins susceptibles de fausser inconsciement le résultat que moi. La consigne donnée, après avoir indiqué la prise en main à adopter, serait: "essaye de frapper aussi fort que possible dans cette boule avec cette épée, de façon à engendrer le plus grand déplacement ; tu as cinq coups d'essai pour te familiariser avec l'épée, et trouver ta technique de frappe préférée, après ces cinq essais, tu devra conserver la même technique de frappe pour tous les coups mesurés; tu as dix coups mesurés à donner". Il y aura des variations de technique d'un testeur à l'autre, mais comme on fera l'analyse statistique testeur par testeur, ça ne devrait pas influencer le résultat général, ou si ça l'influence ce sera en soit un résultat intéressant. Pour des raisons de commodité, et notament cette question de garder la même technique tout au long du test, je ne peux pas randomiser les essais, mais il me semble que les précautions prises par ailleurs sont suffisantes en regard de la portée de ces essais.
Qui pense quoi de ce dispositif expérimental et des considérations méthodologiques qu'il y a derrière?
Bon, là je prépare le SICAC et suis déjà à la bourre, donc ça ne sera pas pour tout de suite: il me faudra le temps de modifier les épées etc, mais si on me motive un peu je pense pouvoir mener ce test.
Pour en revenir au fauchon, les analyses étymologiques et lexicographiques que j'ai fait font savoir que ça ne peut pas être absolument n'importe quoi. La spécificité du terme, au sein même du texte, et l'étymologie indiquent bien que c'est quelque chose qui est perçu comme différent des épées "normales", et lié d'une certaine façon à toute cette branche des faucilles et des faux, au sens trèèèèès large, d'où la supposition que ça peut aussi être une arme d'hast, type fauchard ou éventuellement couteau de brèche, ou plus prosaïquement un gouillard ou un croissant "militarisé". Les auteurs latins déjà faisaient ce genre d'usage assez libre du mot falx, dont ils désignaient les armes courbées portées par les Daces et les Thraces. Puisqu'à ma connaissance, il n'a jamais existé réellement chez nous d'épée-faucille, ou d'épée-serpe, dans le sens présentant une courbure vers l'avant significative (sinon certaines beidane, mais elles semblent beaucoup plus tardives, et d'aire de répartition beaucoup plus réduite), mais que par ailleurs, les fauchons comme ceux de la Bible de Maciejowsky, du Roman de Renart (Oxford Bodelian Library Ms. 264), et du manuscrit de Villard de Honnecourt présentent des similarités de construction avec certaines serpes italiennes (ou manaressi, mais c'est conçu comme étant des outils assez proches), on peut supposer que ce terme pouvait désigner ces armes, ou d'autres armes proches "dans le concept", c'est à dire type cleaver/chopper et à un seul tranchant, dont les types Cluny et Invalides, mais c'est plus hypothétique puisqu'ils ont vraiment des montures d'épées, qui les rendent moins éligible à être dinstinguées dans le vocabulaire.
Il ne s'agit pas ici de savoir "dans l'absolu", mais de faire une analyse différentielle pour petit à petit réduire l'incertitude. L'emploi du terme "fauchon" par Joinville, qui était un militaire, nous renseigne justement de façon différentielle: il n'emploie pas "fauchon" et "épée" de manière interchangeable, mais au contraire de manière exclusive, ce qui nous renseigne sur une dichotomie dans la perception de la nature de l'arme: un fauchon n'est pas une épée, une épée n'est pas un fauchon (pas d'identité/interchangeabilité, pas de rapport de tout à partie non plus). On peut l'affirmer sur la base des écrits de Joinville lui-même. Pour savoir si cette perception était partagée, voire unanime, ou en tout cas comment elle était perçue selon la position sociale de la personne (Joinville était peut être beaucoup plus tatillon sur la terminologie que la majorité de ses contemporains) il faudrait d'autres sources (l'idéal serait des sources en langue d'Oc, à cause des hypothèses sur l'origine géographique du fauchon). Déterminer exactement quel type d'arme ça désigne est beaucoup plus coton, tout ce qu'on sait c'est que ça doit présenter une différence perceptible comme substantielle par rapport à une épée "normale"… dans le cas où c'est une "épée", car on ne peut toujours pas exclure que ce soit une arme d'hast. A un seul tranchant? A monture différente? On ne peut pas le dire.