En effet, Le bon roi Henri ne fut pas assassiné à l'aide d'une lame périgourdine, ci-jointe, la copie d'un article d'Adrien Gaudineau, paru dans LPDC NH° 77 :
Non, Henri IV n’a pas été assassiné avec un couteau de Nontron
par Adrien Gaudineau
Il nous arrive encore de lire dans les journaux, des revues, et même, tout récemment encore, dans une revue de couteaux, que le bon Roi Henri IV avait été assassiné avec un couteau de Nontron. Notre sang de Gascon n’a fait qu’un tour et nous ne résistons pas au fait de crier que Ravaillac n’a jamais utilisé un Nontron pour poignarder sa victime.
Cette affirmation fausse est d’autant plus surprenante que le détail du tragique épisode est bien connu en raison du nombre et de la qualité des témoins directs et du fait que le poignard régicide a été saisi sur Ravaillac par le plus vieux et le plus fidèle compagnon huguenot du roi, Jacques Nompar de Caumont, premier Duc de La Force qui, étant ce vendredi 14 Mai 1610 aux côtés d’Henri IVdans le fatal carosse, fut un des témoins directs du crime. Les récits des mémorialistes sont nombreux et concordent sur la plupart des points. Henri IV, en outre, n’est pas insensible aux présages. De longue date, les astrologues l’ont engagé à se méfier du mois de Mai et, en ce mois, à se tenir sur ses gardes au sujet d’un carrosse et d’un couteau.
Mais en ce 14 Mai 1610, au dépit de ses hésitations, il se décide finalement à sortir. Vitry, capitaine des gardes en quartier, essaie de s’y opposer : si le roi doit sortir, il est de sa charge de l’accompagner. Il lui représente que Paris est en ce moment plein d’étrangers et d’inconnus : « Allez, lui répond le Roi, faites ce que je vous dis. Il y a cinquante et tant d’années que je me garde sans capitaine des gardes; je me garderai bien encore tout seul. Je veux parler à Monsieur de Sully sinon je ne dormirai pas tranquillement » .
Il sort dans la cour du Louvre par un petit escalier à vis qui débouche à l’angle des ailes ouest et sud. Là, il écarte encore Praslin, autre capitaine des gardes qui voulait l’accompagner et monter dans le carosse qui attend tout attelé. Dans la lourde voiture carrée, il s’assied à gauche sur la banquette du fond. Montent avec lui ceux qu’il a invités en chemin. Le duc d’Epernon est assis au fond à sa droite. Les portières rabattues offrent chacune deux places le dos à la rue : Lavardin et Roquelaure sont à la portière du Duc, Montbazon et La Force à celle du roi. Sur la banquette de devant, face au Roi, sont assis Liancourt, le premier écuyer, et Mirebeau. Il est alors quatre heures de l’après-midi à un quart d’heure près. Quelques gentilshommes à cheval accompagnent la voiture royale ainsi que des valets de pied qui courent aux portières car l’allure est lente. Nous sommes rue Saint-Honoré et, dans le prolongement , se situe la rue de la Ferronnerie rendue étroite par les échoppes qu’on a laissé bâtir le long des maisons proches du cimetière des Saints Innocents, en outre, le grand marché des Halles, implanté là depuis Louis VI le Gros, explique les engorgements. Dans ces conditions, l’escorte ne peut rester aux portières du carrosse. Certains valets ont couru en tête pour faire dégager une charrette de foin et une autre de tonneaux de vin qui gênent le passage. C’est alors qu’un homme s’approche de la portière: un colosse à la mine farouche, de posture puissante, la barbe roux foncé, les cheveux dorés, les yeux mélancoliques assez profondément enfoncés dans les orbites. Il porte un habit vert à la flamande.
Il court après le Roi depuis le matin. Quand le carosse est sorti de la cour du Louvre, il a déjà pensé agir dès le passage sous la voûte mais c’est le Duc d’Epernon qui occupait la place où il pensait trouver le Roi et depuis, il court silencieusement derrière.
Cette fois, le carrosse est immobile : l’occasion est bonne. Il pose le pied sur un des rayons de la roue arrière droite, l’autre sur une borne et surgit dans l’ouverture de la portière sans qu’on ait pris garde à lui. Il a sur lui un couteau, une longue lame quadrangulaire et très effilée emmanchée à l’origine dans de l’ébène mais qu’il a remplacé par une corne de cerf. Il a dérobé cette superbe dague de vénerie dans une trousse comportant deux autres couteaux et un poinçon, à un anglais Sir John Ramsay, comme celui-ci se trouvait dans une auberge de la rue Sainte-Honoré proche de l’hôpital des Quinze-Vingts. La lame de l’arme qui allait coûter la vie au monarque mesure vingt-cinq centimètres.
Ravaillac tire son couteau et, de sa main gauche, ce qui ne le gène pas beaucoup car il est ambidextre, il atteint le Roi d’un premier coup entre la deuxième et la troisième vertèbre, près de l’aisselle. Ce coup a d’abord transpercé la manche du pourpoint, le pourpoint lui-même et la chemise. La douleur fait automatiquement relever le bras gauche au roi qu’il avait posé sur l’épaule du duc de Montbazon. Ravaillac frappe à nouveau, mais plus bas et plus profondément. La lame pénètre toute entière entre la cinquième et la sixième côte. Les dégats sont terribles : elle traverse le poumon gauche, tranche la veine cave, l’artère pulmonaire et pour finir, crève l’aorte. Un troisième coup perce seulement la mouche de Montbazon. Après le deuxième coup, Montbazon qui, pas plus que les autres d’ailleurs, n’a compris, demande au Roi : « Qu’est-ce Sire ? » « Ce n’est rien » répond Henri IV, une première fois clairement, une seconde fois très bas. Mais un flot de sang franchit ses lèvres. La Force, le seul huguenot du groupe, a compris le premier et lui crie, comme une extrême-onction : « Ah Sire, souvenez-vous de Dieu ». Ravaillac est resté sur la roue, un peu hébété, le couteau sanglant encore à la main. On se jette sur lui, on lui arrache son arme et Saint-Michel, gentilhomme ordinaire de la chambre veut le transpercer de son épée. Le duc d’Epernon s’interpose : « Ne frappez pas, il y va de votre tête ».
La Force, resté seul dans le carosse, jette son manteau sur le roi et invite Curson à monter avec lui pour soutenir le corps. Arrivé au Louvre, on étendit Henri IV sur un lit dans le petit caibnet de la Reine. Le docteur Petit parle au moribond qui ouvre trois fois les yeux et les referme. C’est fini.
Le poignard qui venait de tuer Henri IV n’en était pas, si l’on peut dire, à son coup d’essai. Comme nous l’avons déjà dit, il faisait partie d’une trousse de vénerie fabriquée en l’an 1600. Cette trousse comporte la grande dague de vénerie à quatre arêtes dont le profil de la lame est éminemment apte à servir le grand gibier, son fourreau et deux bâtardeaux, c’est à dire des couteaux plus petits à lame de forme classique, sans étui, et destinés a la préparation du gibier. L’ensemble est complété par un poinçon. Toutefois, ces trois couteaux sont traités luxueusement dans un élégant style Renaissance et sont décorés par un travail de ciselure hors du commun. Leurs lames, gravées et dorées, sont incrustées de la lettre H en cuivre car John Ramsey était Vicomte de Haddington et pair d’Angleterre. Toutes les trois portent, gravée, une devise identique en latin : haec dextera vindex principis et patria; en français : cette main venge le prince et la patrie. Les lames portent aussi des armoiries : à sinistre, un aigle à deux têtes, à dextre, une main tenant une épée haute traversant une couronne à la pointe.
La pièce maîtresse de cette trousse, avant de tuer Henri IV, avait déjà occis trois homme en Angleterre.
Les faits prennent place en mai 1600 dans la maison Gowrie des Ruthven dans le Conté de Perth en Ecosse. Jacques VI d’Ecosse qui deviendra roi d’Angleterre sous le nom de Jacques premier était débiteur d’une grosse somme au bénéfice de la famille Gowrie. Malgré de nombreuses relances, cette famille n’obtenait pas le remboursement de la somme. Excédés, trois de ses membres complotèrent d’enlever le souverain et d’obtenir pour sa libération une rançon égale à la somme due. Le secret du complot s’ébruita et fut déformé : on crut que le père et les deux fils cherchaient à tuer le roi. Se voulant le défenseur du Prince et de l’Ecosse, le jeune John Ramsey dépêcha de sa main les trois comploteurs imprudents avant même qu’ils ne puissent passer à l’acte de séquestration. En remerciement, Ramsey fut élevé à la dignité de chevalier et reçut le titre de Lord. Les armes, elles aussi, furent mises à l’honneur et gravées à cette occasion, puisque leurs gravures font allusion au geste héroïque, bien qu’un peu hâtif, de John Ramsey.
En cas de régicide, l’arme du crime était toujours détruite e jour de l’exécution du meurtrier. Or, les mémorialistes disent tant que : « le bourreau a présenté le poignard à la foule mais en a jeté un autre dans le bûcher ». Le véritable fut laissé au plus vieux et plus fidèle compagnon huguenot du Béarnais. Il est toujours dans la famille des Ducs de La Force qui le consèrve précieusement à Genève dans sa trousse.
La preuve est donc faite, de manière indiscutable, que le symphatique couteau de Nontron n’a jamais attenté à la vie du bon roi Henri IV.
Curieusement, de nos jours, une des boutiques de pointe de Nontron se trouve à Paris, place Sainte-Opportune, à deux pas ( à peu près trente mètres ) de l’endroit où le pauvre Henri IV est tombé sous le poignard volé par Ravaillac à un anglais. L’endroit est signalé par un pavage spécial sur la chaussée, juste devant une taverne dont l’enseigne : « Au coeur couronné » existait déjà à l’époque.
Ceux que cette démonstration attristera peuvent toujours se consoler en découpant une poule au pot avec un beau Nontron histoire de faire rire, là-haut, le bon roi Henri IVet de lui prouver qu’on n’oublie pas ses conseils trois cent quatre vingt treize ans après.