Lorsque j'attaquais un couteau, je me relevais la nuit, pour aller le terminer, j'avais vraiment la passion, je dessinais des couteaux partout (depuis tout gamin en fait). En faisant le choix professionnel de reprendre le magazine, j'y ai gagné un job passionnant, mais j'ai arrêté de faire des couteaux. Mais de ces années de coutellerie en amateur, me sont restées des images : l'allumage de la forge, située sous les voutes, juste en dessous du salon, et la fumée qui passait à travers le plancher... Mon épouse qui descendait dans l'atelier pour me dire que mes coups de marteau l'empêchaient de dormir... Et mes gamins qui venaient tourner la manivelle de ma forge en espérant que je les laisserais taper un peu sur l'enclume... Et puis les lames cassées ou criquées que je balançais avec colère dans l'atelier...
C'est sans doute grâce à toutes ces images, ces émotions qu'ont vécues tous les couteliers à leurs débuts, comme les lettres d'un alphabet que nous avons du apprendre avant de pouvoir écrire des mots, puis des phrases, avec plus ou moins de fautes, qu'aujourd'hui encore, lorsque je franchis la porte d'un atelier, il se passe quelque chose. Et j'ai la faiblesse de penser que les couteliers le sentent : ils n'ont pas besoin de me parler comme à un béotien...
Mes plus grands moments, je les ai vécus à Porto-Vecchio, dos à la Méditerranée, par un vent terrible, à la nuit tombante, devant des spectateurs attentifs qui ne voulaient pas partir... Il y avait Bernard Bertholus, l'ami disparu et les forgerons corses et bon sang, nous avons donné un concert pour marteaux et enclumes dont je me souviendrai jusqu'à mon dernier souffle.
