J'espère pouvoir parler librement (on ne sait jamais, dès lors qu'il s'agit de la coutellerie corse, cela m'a déjà valu quelques problèmes …).
Une réflexion me vient à la lecture du site susnommé, très intéressant d'ailleurs.
La démarche identitaire, tout à fait d'accord, elle est non seulement légitime, mais indispensable. Par contre les dérives ayatollesques, sont parfois caricaturales. J'ai déjà eu maille à partir avec un coutelier corse (heureusement pas avec tous, il en est de très raisonnables et bien dans leur époque, la plupart d'ailleurs) au sujet de l'identité corse et des couteaux corses en général. Comme la métallurgie corse … Le caractère insulaire de la Corse, on le sait (et c'est vrai pour d'autres îles) exacerbe certains traits du "régionalisme". Quand on me parle de métallurgie corse, je réponds "métallurgie tout court". La métallurgie, en Corse est probablement un apport, comme partout ailleurs sur le pourtour méditerranéen. Il n'y a pas eu de génération spontanée, pas plus en Corse qu'ailleurs.
Pour la coutellerie, elle a certaines spécificités, mais d'une façon générale, un couteau de berger, en Corse, ressemble à tous les couteaux de berger, issus de la culture agro-pastorale mediterranéenne, avec des variantes spécifiques. Quant au fameux stylet corse, il est en effet particulier dans sa forme et la composition de son manche, mais il est inspiré du stylet génois. D'ailleurs, si l'on y regarde à 2 fois, la Vendetta est un stylet fermant stylisé, sans doute né de l'imagination d'un fabricant thiernois, mais on peut aussi imaginer que ce fut une commande d'un commerçant corse.
Pour ce qui est de la, profusion de couteaux estampillés "Corse" et fabriqués au mieux à Thiers et au pire en Asie, ils ne sont que le résultat d'une forte demande que les artisans corses ne pourraient pas satisfaire, en aucun cas ! Certains couteliers m'avouent vendre 5000 Cursina (indus) par an (mais à 1 prix pour touriste ne dépassant pas 30 euros). Il y a un marché, il y a une demande, je suis d'ailleurs étonné que personne n'ait songé, en Corse, grâce (pourquoi pas) à une bonne suvention du fond européen et de la France amie (car lorsque c'est pour payer, nous sommes considérés comme des amis …) à monter une unité de fabrication, avec un centre d'usinage à découpe" laser.
Le seul qui se soit vraiment donné les moyens de produire et de répondre avec des moyens en grande partie locaux, c'est Jean-Pierre Ceccaldi (mais l'acier vient du continent, les matériaux et les bois aussi, les lames sont-elles découpées ou pas, je m'en tamponne le coquillard, il faut arrêter avec ces conneries ! Pu... La Corse est tout de même en France. Thiers est réputée pour un certain savoir-faire, et il serait stupide de ne pas l'utiliser. Un couteau fait en Corse à partir d'éléments découpés à Thiers, n'est pas un produit d'importation, merde quoi !). Moi quand j'achète de l'excellente charcuterie corse, quand je fais un fiadone, quand je concote une pollenta (oups pardon pulenda, la pollenta c'est chez moi, en Piémont, d'ailleurs les corses l'appellent pulentina … Petite pulenda) à la farine de châtaigne, je n'ai pas le sentiment de faire de la cuisine exotique, c'est comme si je décidais de faire une choucroute ou un cassoulet, ce sont des plats issus de la culture régionale de MON pays, et quand je vais en Corse, je me sens aussi chez moi, même si certains veulent me faire croire le contraire.
Cela dit, tous les couteaux faussement corses, vendus en Corse, le sont en très grande majorité par des commerçants corses, et lorsqu'un commerçant continental essaie de le faire, il lui arrive d'avoir des soucis. Je ne cherche pas à planter le souk, mais j'indique en passant, que lorsque les producteurs de fraises français se sentent mis en péril par les producteurs espagnols et la grande diffusion, ils agissent. A la limite, je concevrais parfaitement que les artisans corses créent un label permettant d'authentifier un couteau, cependant, il doivent admettre que tous les touristes de passages ne peuvent acheter un vrai couteau d'artisan (ce sont les mêmes qui achètent du Laguiole paki, rassurez-vous, amis corses, vous n'êtes pas les seuls à souffrir de ce phénomène. Je rappelle qu'il est fréquent dans le monde coutelier de hurler avec les loups !
A Thiers, à Laguiole, on entend beaucoup de voix s'élever contre les "contrefaçons" asiatiques... Je rappelle simplement que la plupart des gros fabricants, qui sont souvent ceux qui hurlent le plus fort, ont tous des couteaux d'importation dans leur catalogue, il est presque impossible de faire autrement, et surtout, car les auvergnats savent compter, ça rapporte beaucoup plus que de faire tourner ses propres machines ! Frenchbear le rappelait, le fond européen avait mis a disposition de la France comme des autres pays, une importante subvention ayant pour but de permettre à des entreprises françaises de se doter d'un appareillage et de moyens de production modernes (cnc), je le sais d'autant plus que c'est mon ancien métier (la vente de machines outils)… Combien d'entreprises de Thiers en ont-elle fait la demande ??? Et combien à Maniago ???
Le mal français (et la Corse fait encore partie de la France, au grand dam de certains !) est que l'on passe beaucoup de temps à se plaindre, mais personne ne bouge vraiment, car si on y regarde de plus près … les principaux acteurs en croquent et personne n'a vraiment intérêt à ce que cela change !
Et puis entre nous, je trouve que c'est un faux débat, car nier la nécessité de la mondialisation, cela revient à dire "après tout les chinois, on s'en fiche, qu'ils crèvent". On ne peut pas leur reprocher d'avoir envie de bouffer aussi. Les ouvriers travaillent certes dans de très mauvaises conditions, mais je pense qu'elles ne sont pas plus mauvaises que celle des ouvriers thiernois du siècle dernier ! Ils ont encore du retard concernant le social, mais s'ils s'enrichissent, à termes, leur niveau de vie rejoindra le nôtre et faire fabriquer chez eux reviendra aussi cher ou presque que chez nous, ce qui rendra l'opération moins juteuse (cela dit, il y aura toujours des pays à bas salaires, mais c'est le monde qui avance, il faut faire avec (et parmi beaucoup des couteaux US que nous apprécions, pas mal sont fabriqués là-bas aussi). La solution est dans l'inventivité des fabricants, toujours avoir un temps d'avance, ils seront copiés, certes, mais le client achètera la nouveauté, même si le prix est plus élevé, et quand les copies commenceront à arriver (avec un décalage), la nouveauté se sera déjà bien vendue.