Alexdeden a écrit:Mai 1968, j'aurai bientôt 3 ans, pendant qu'à Paris les pavés volent plus haut que les moineaux je joue dans un bac à sable du jardin du palais Longchamp à Marseille. Je joue avec mon Spyderco Ladybug, gravé avec mes initiales stylisées, que m'a offert la voisine, Madame Glessaire. Maman trouve ces voisins un peu bizarres, une fois je l'ai entendu dire que Monsieur Glessaire avait l'air un peu sale... mais bon je m'en fiche bien, moi j'adore ce petit couteau avec lequel je tente de me tailler une mini pelle à sable dans un morceau de bois de cagette. Mais mes doigts encore malhabiles lâchent le petit couteau qui s'enfonce dans le sable... à ce moment on m'appelle, il faut rentrer à la maison, j'ai beau pleurnicher après mon Ladybug perdu on me prend par la main et retour fissa à la casa pour manger et dormir. Je ne reverrai plus mon petit Spydie mais je sais que je ne l'oublierai jamais.
Janvier 1999, dans l'espèce de brouillard minéral de l'harmattan je conduis tant bien que mal un vieux Pajero sur une piste défoncée, entre Katsina et Sokoto, pas très loin de Boko, dans le nord du Nigeria. J'ai grandi, en fait pas tant que ça, j'ai vieilli, ça oui, je suis buriné, endurci, j'ai vécu, voyagé et roulé ma bosse. Mes pensées vagabondent pendant que je négocie les nids de poule qui creusent la latérite. Soudain un cahot plus violent me fait sursauter, je sens la direction tirer d'un côté, bordel j'ai crevé ! Je m'arrête, je descends. Le pneu avant droit est déchiré. C'est pas un drame, j'ai deux roues de secours, mais c'est chiant. La brousse aux alentours, sèche et jaune, est silencieuse. À quelques centaines de mètres, des Fulanis, un groupe de trois ou quatre gonzes, élancés et indolents, gardent un troupeau clairsemé de vaches-zébus, appuyés sur leurs longs bâtons de pasteurs. Je devine leur regard amusé. Dans cette steppe sahélienne à l'avant-goût désertique, regarder un Blanc changer une roue c'est comme un genre de distraction dans la journée poussiéreuse, un truc à raconter le soir au bivouac. Je m'étire et me mets au travail. Je veux placer le cric mais juste à cet endroit il y a du sable sur la latérite alors, avec le pied, le pied parce que les scorpions jaunes et les araignées venimeuses pullulent dans ces lieux reculés, je balaie le sol poudré pour arriver au dur et là… là qui sort du sable, un petit objet de fer et d'acier... je me penche, je le ramasse... c'est un Spyderco Ladybug et il porte MES INITIALES STYLISEES !!!
Je suis abasourdi, choqué, sidéré… je me revois jouant avec ce même petit couteau il y a plus de 30 ans, car c'est lui, c'est bien le mien, je le sais, je le sens... je me tourne vers les Fulanis, là-bas, comme pour les prendre à témoin... ils ont disparu. Tout se met à tourner et virer au noir...
11 novembre 2024, 16h42, je me réveille hagard, la bouche pâteuse, putain qu'on fait des rêves débiles quand on se couche à moitié bourré après un déjeuner trop copieux !
Ça c'est de l'histoire vraie comme je les adore. Je vais faire de beaux rêves !