Retour sur l'année 2022 avec mes deux coups de cœur, largement partagés à Noël :
Celui qui est à mon sens le meilleur livre de l'année : La dernière reine, par Jean-Marc Rochette.
Ayant pendant toute sa carrière illustrer les scénarios des autres, Rochette s'autorise enfin, jeune retraité, à écrire ses propres histoires. Sortis ces dernières années,
Ailefroide et
Le loup sont déja des chefs d’œuvre.
Dans le premier, Rochette raconte son adolescence, son amour immodéré pour la montagne, et l'accident qui a décidé pour lui qu'il ne serait pas guide de haute-montagne mais dessinateur de BD. Un roman graphique initiatique où transparait la quête des grands espaces et de leur pureté. Son deuxième ouvrage est plus light, il est plus comparable à une nouvelle qu'à un roman. L'auteur y explore les rapports entretenus entre l'homme et l'(animal au travers d'une rencontre entre un chasseur et un loup. Magnifique.
Jean-Marc Rochette, cela transparait à la lecture de ces deux livres et des quelques interviews données, est un homme blessé, il ne s'accorde pas avec la société des hommes qu'il juge futile et pervertie, aux mains d'individus corrompus. C'est un montagnard qui apprécie sa vie en retrait. Dans les propos qu'il tient, il va parfois loin, flirtant avec des prises de position légitimes mais discutables sur le système de santé ou d'autres thèmes en rapport avec le pouvoir. Ces discours auraient pu le couper d'une partie de son public mais il a eu l’extrême intelligence, dans son troisième ouvrage, de faire passer l'entièreté de sa vision du monde dans une fiction dont l'action se déroule il y a 100 ans. On comprend tout sans qu'il ait à le dire, c'est d'une grande beauté et d'une extraordinaire puissance narrative.
Une gueule cassée, au sortir de la 1ere guerre, se fait refaire le visage par une sculptrice. Il part avec elle dans les Alpes, pour lui montrer le dernier endroit que l'homme n'a pas (encore) souillé. Cette quête de la pureté originelle, l'innocence de l'artiste, le trauma du poilu, et ce rejet d'une société qu'il va payer au prix fort … L'histoire est magique et magnifique de bout en bout.
Un chef d’œuvre dont je vous conseille la lecture sans réserve.
Mon deuxième coup de cœur est une BD historique écrite et dessinée par Marcelino Truong : "40 hommes et 12 fusils".
L'auteur est de père vietnamien et de mère bretonne. La famille vivait au vietnam lorsque la guerre s'est déclarée. La maman ayant du mal à supporter la violence ambiante, le père a pris le poste d'ambassadeur du Vietnam au Royaume-Unis et toute la famille est partie s'installer à Londres au milieu des années 60 (!!), avant de venir en France quelques années plus tard. Marcelino est agrégé d'anglais, il est diplômé de Sciences Politiques et consacre (entre autre) sa vie à faire des recherches historiques sur l'histoire du pays qui l'a vu naître : le Vietnam.
Dans "40 hommes et 12 fusils", il raconte l'histoire (fictive) d'un jeune artiste enrôlé de force dans l'armée du Viet Minh en 1953 pour éviter d'être fusillé. Il est incorporé dans une brigade de propagande artistique composée de 40 artistes et de 12 soldats (d'où le titre de l'ouvrage). Marcelino Truong démonte les rouages de cette guerre d'Indochine dont le but initial était juste de renvoyer chez eux les français, afin que le pays retrouve une légitime indépendance. Le voisin chinois a proposé son aide et ses armes, qu'il a accompagné d'une belle propagande, lavant le cerveau d'une population quasi inculte. Petit à petit, la lutte pour l'indépendance est devenue une lutte des classes, les néo-communistes pillant et tuant la classe des possédant ou toute personne supposée issu du milieu le plus aisé ou cultivé du pays. D'une manière assez perverse, l'impérialisme chinois a donc remplacé l'impérialisme colonial des Français.
L'auteur démonte ces mécanismes avec la volonté assumée de rompre avec l'image romanesque du communisme qui s'est largement répandue au début des années 70 lors de la guerre du Vietnam (qui a succédé à la guerre d'Indochine). Rien ne l'énerve plus que ces hommes politique français qui mettent des chemises à col "Mao".
Bref, on a là un très beau livre bien épais, hyper documenté dont chaque anecdote est le fruit de recherches poussées. Une leçon d'histoire intéressante d'autant que finalement, nous n'en connaissons ici pas grand chose : le conflit ne faisant pas l'objet de revendications particulières, il ne nous est pas rappelé et a tendance à se faire oublier dans la mémoire collective.