La faim le tenaillait. Seuls restaient un morceau de râble et une cuisse, du civet de chat de la veille (celui de son voisin, l'amer Michel), qu'il entreprit d'engloutir froids, y laissant au passage sa dernière incisive, celle à laquelle il tenait le plus ! Quelques gorgées de fine aidèrent à faire passer l'âpreté du matou.
Deux jours auparavant, Axel avait cassé le manche de son Opinel, volé dans le bureau du père préfet, pendant ses années d'internat ; en tentant d'ôter quelques copeaux de la motte de saindoux gelée (rien n'est pire pour un manche, qu'une motte gelée), oubliée sur le rebord de la fenêtre... Il lui en fallait un nouveau : "Et pourquoi pas ce délicat fémur ?" se dit Axel, en finissant de le sucer.
Et ce qui fut dit, fut fait.
Plus tard, bien plus tard, Axel Ficanas connut le succès, mais en souvenir de ces années de Bohème, il ne se sépara jamais de son Opichatnel, qu'il préféra aux splendides couteaux d'artisans que ses nombreuses maîtresses lui offrirent.
