Pardonnez-moi de polluer le forum avec mes jérémiades, mais il fallait que je partage ça avec des gens qui peuvent comprendre toute ma peine...
Ça fait 23 ans que je continue d'accepter, pour des raisons purement diplomatiques, d'entretenir les couteaux de ma belle-mère.
Les deux premières années, je le faisais de bon cœur et je croyais encore sincèrement que j'avais une chance de la convaincre d'arrêter de mettre ses couteaux dans le panier à couverts du lave vaisselle, de les jeter en vrac dans le tiroir de la cuisine, de s'en servir sur sa "planche à découper" en verre dépoli... Bref, de faire semblant de respecter le travail qu'elle me demande d'accomplir pour elle avec une fréquence objectivement anormale.
Et puis au bout d'un moment j'ai du me résigner à accepter l'idée qu'elle ne ferait jamais le moindre effort: "Je suis pressée, je n'ai pas le temps de faire de chichis" déclare-t-elle systématiquement juste avant de balancer furieusement son chef fraichement affûté sur la pile d'objets métallique qui lui sert de tiroir. Comme si ça prenait plus longtemps de juste le poser délicatement...
Au début, je faisais les choses bien, à la pierre japonaise et tout... Je lui rendais ses lames rasoir de chez rasoir. Maintenant, je me dégoûte tellement j'y vais comme un cochon: un aller-retour sur le backstand avec la bande de 400 et c'est marre.
Je n'ai plus le moindre scrupule depuis que je me suis rendu compte qu'elle ne ferait de toutes façons jamais la différence: à chaque fois qu'elle sort un couteau de son tiroir, même fraichement affûté, la première chose qu'elle leur fait subir c'est de les coller dans son "affuteur de cuisine" (celui avec les rondelles de tungstène) et de s'acharner à faire des allers retours comme si elle voulait couper l'engin en deux. "Je suis pressée, je n'ai pas le temps de faire de chichis". Comme si ça prenait plus longtemps de juste foutre la paix à un couteau qui coupe déjà parfaitement...
Et puis ce weekend, ça a été la goutte d'eau: Ma femme, de passage chez ses parents, m'a ramené un sac en papier rempli d'une grosse douzaine de couteaux en vrac, avec pour tout habillage la pointe piquée dans un bouchon "pour que je les aiguise". Sauf que cette fois, non seulement il n'y avait effectivement plus la moindre trace de fil à l'horizon, mais des éclats entiers de métal avaient foutu le camp et ce qui faisait autrefois office de tranchant partait carrément en zig-zag sur plusieurs centimètres.
Je n'arrivais pas à imaginer quel genre de sévices pervers ces innocentes lames avaient pu subir, au point de marquer leurs flancs de profondes rayures aussi disgracieuses qu'irrégulières: le genre de marque que l'on n'obtient qu'en laissant le couteau trainer pendant une semaine sur le sol d'un parking publique.
Aux grand maux... Je lui "affûte" ses couteaux à la bande de 120 avant de les balancer avec dégoût dans leur sac (et puis merde... Dans leur état, il aurait honnêtement été plus charitable de les achever et de leur offrir des funérailles décentes). Je file déposer le colis chez belle maman et lui pose la question qui me brûle les lèvres "Ils sont passés sous un camion ou quoi?". Et elle de me répondre "Non, c'est ma pierre à aiguiser qui n'est pas bonne" avant de choper dans son tiroir une pierre à faux et de se mettre à faire du chopping sur l'innocent caillou avec l'un des couteaux que je venais juste de lui rapporter.
Je ne déconne pas: elle mettait des coups dans la pierre comme si c'était une branche qu'elle essayait de couper à la volée... Où encore qu'elle voulait en faire sortir des étincelles pour allumer un feu.
"- Et pourquoi tu fais ça?
- C'est bien toi qui m'a dit de ne plus utiliser mon aiguiseur, non?
- (je m'efforce de voir le bon côté des choses: elle a enfin suivi l'un de mes conseils...) non, pourquoi tu fais ça à un couteau que je viens d'affûter?
- Ben pour qu'il coupe.
- Tu trouves que les couteaux que je t'affûte ne coupent pas?
- J'ai pas dit ça.
- Alors pourquoi fais-tu ça avant de t'en servir?
- Par habitude. J'ai travaillé toute ma vie en cuisine, j'affûte toujours un couteau avant de m'en servir.
- Pourquoi?
- Pour être sûre qu'il coupe!
- Pourquoi ne pas vérifier s'il coupe avant de lui faire subir un affûtage?
- Parce que je suis pressée, je n'ai pas le temps de faire de chichis..."
En rentrant, je dis à ma femme que la prochaine fois qu'elle me ramènerait un couteau mourant de chez ses parents, je l'achèverai personnellement. Et puis juste à ce moment là, je remarque qu'elle a encore laissé trainer au fond de l'évier le couteau que je lui ai fabriqué pour son anniversaire, son manche en bois baignant dans le jus de vaisselle. En deux secondes je le récupère et le pose sur le séchoir, avant de faire remarquer à mon épouse que ça serait sympa d'en prendre soin...
"Je suis pressée, je n'ai pas le temps de faire de chichis..."