par G-dagger » 16 Juil 2007 22:22
Le rêve de tout coutelier (ça arrive pour certains d'entre eux notamment aux USA):
Les nouveaux collectionneurs, par Harry Bellet et Emmanuel de Roux
LE MONDE | 16.07.07 | 14h05 • Mis à jour le 16.07.07 | 14h05
"Ce n'est pas parce qu'un artiste ne vaut pas beaucoup d'argent qu'il n'est pas un grand peintre", disait le marchand Daniel Wildenstein. L'histoire récente semble le démontrer, et il est des chiffres qui laissent rêveur. Un portrait peint par Raphaël (1483-1520) est vendu l'équivalent de 27,3 millions d'euros, par exemple, quand un tableau de l'Américain Mark Rothko (1903-1970) avait atteint deux mois plus tôt 53,7 millions d'euros (Le Monde du 6 juillet). Une oeuvre du Britannique Damien Hirst, né en 1965, actuellement l'artiste contemporain le plus côté, vaut un million d'euros de plus qu'un Diego Vélasquez (1599-1660). Mais aussi cinq fois et demi le prix d'un Zurbaran (1598-1664), trente-trois fois celui d'un Pinturicchio (1454-1513) ou trente-huit fois un Simon Vouet (1590-1649), pour ne prendre que des prix records atteints, ces six derniers mois, dans la peinture ancienne, selon la base de données Artprice.
Désormais, des artistes labélisés par toutes les histoires de l'art "font" moins bien que des contemporains. Les collectionneurs n'aiment plus les valeurs sûres. Ils préfèrent l'aventure. Un pari sur l'avenir, donc. Pas si sûr. Le nouveau collectionneur veut l'artiste qui a du succès ici et maintenant. Il est immergé dans le présent. C'est un "présentiste", pour reprendre la thèse défendue par l'historien François Hartog. Il ne connaît pas le passé, qui d'ailleurs ne l'intéresse pas. Le futur est opaque, voire gros de menaces, donc guère plus passionnant. Reste le présent. Et quand on est dans le présent, le portrait de Mao, ou de Marylin Monroe, par Andy Warhol, raconte plus de choses que Laurent Le Magnifique, fut-il peint par Raphaël.
Cette nouvelle génération de collectionneurs ne ressemble donc pas aux précédentes, qui tablaient sur des oeuvres adoubées par les historiens d'art et tous les manuels de la terre. Avant son éclatement en 1990, l'avant-dernière bulle spéculative portée par les acheteurs japonais se concentrait sur l'art impressionniste et moderne, relayant le romantisme des XIXe et XXe siècles qui mettait en avant la figure de l'artiste "maudit", méconnu de son vivant, mais que la postérité reconnaîtrait un jour à sa juste valeur. De même que les bourgeois du XVIIIe siècle se faisaient portraiturer pour figurer dans la galerie d'ancêtres qui leur faisait défaut, acheter un impressionniste, même un siècle après la naissance du mouvement, vous mettait du côté des précurseurs. Une image rassurante et valorisante, surtout quand l'argent ainsi dépensé provenait de l'héritage de parents industriels.
Or, selon le Sunday Times qui publie une "Rich List" annuelle, il y a dix-sept ans, les deux tiers des 1 000 plus grandes fortunes du Royaume Uni étaient des héritiers. Aujourd'hui, 75 % sont des nouveaux riches, le plus souvent issus de la finance. Et sept parmi les dix premiers sont des étrangers, attirés à Londres par des conditions fiscales on ne peut plus favorables. En premier lieu, viennent les Russes. Désormais, les tableaux électroniques de conversions de devises des maisons de ventes aux enchères incluent les roubles. C'est d'ailleurs à Boris Ivanishvili, un magnat des mines de Géorgie, que le New York Times attribue l'achat en mai 2006 d'un portrait de Dora Maar par Picasso, pour 95,2 millions de dollars. Son neveu Ghar est aussi actif en salle des ventes, où il achète de tout, de Matisse à Frank Stella, en passant par Miro ou David Hockney. On lui prête aussi l'achat record, en février 2007, du White Canoe, peint en 1991 par l'Ecossais Peter Doig pour 11,2 millions de dollars.
Les Asiatiques, et particulièrement les Chinois, mais aussi les Indiens, commencent à intervenir massivement sur le marché. C'est un Chinois qui aurait acquis le Green Car Crash, un tableau peint en 1963 par Andy Warhol, lors des ventes de mai à New York, pour 71,7 millions de dollars - soit la valeur de deux bons Raphaël.
Question de goût ? Peut-être. De paraître, aussi. L'art contemporain est ludique, voire festif : on vient à Miami autant pour acheter des oeuvres que pour participer aux "parties" nocturnes. Et les nouveaux acheteurs chassent la pièce spectaculaire, le trophée. L'acquéreur du Rothko s'est offert, par la même occasion, un pedigree, celui de son ancien propriétaire, David Rockfeller.
Autres nouveaux acteurs, les gérants de hedge funds, les fonds spéculatifs. Ils ennobliraient par l'art un argent gagné dans des conditions qui font frémir certains économistes. Mais ils sont également capables de transposer dans le domaine du marché de l'art les recettes qui ont fait leur fortune en bourse, n'hésitant pas à spéculer avec la peinture comme s'il s'agissait de devises ou de taux obligataires. Et pour cela, l'art contemporain est une mine, plus que l'art ancien. En effet, point n'est besoin d'attendre qu'on découvre, dans un hypothétique grenier, le prochain tableau oublié de Raphaël. Il suffit d'investir massivement sur de nouvelles signatures, que l'on revendra lorsque leur cote sera au plus haut.
Des hordes de "conseillers artistiques" investissent donc les foires d'art contemporain, avec une connaissance souvent limitée de l'histoire de l'art, mais une liste infaillible des noms des artistes qu'il "faut" avoir. Ceux dont on murmure qu'ils intéressent les "taste makers", les faiseurs de goût que sont devenus certains grands collectionneurs, comme le Britannique Charles Saatchi, ou ceux que la rumeur crédite d'une future exposition dans un grand musée. Ces derniers étant, paradoxe savoureux, parmi les institutions qui contribuent le mieux à l'inflation de prix d'artistes qu'ils sont ensuite incapables d'acheter.
Le délit d'initié, qui expédierait un boursicoteur en prison, est ici érigé en vertu. Savoir, avant les autres, quels artistes seront à la mode l'été prochain, peut rapporter gros. En toute légalité. Sans aller jusqu'à imiter François Pinault, qui, avec Christie's, s'est offert un des opérateurs majeurs de la planète et une source d'informations irremplaçable, biens des hommes d'affaires investissent dans des galeries pour être les premiers sur la liste. On cite le cas de ce Suisse qui a financé une des principales galeries de Zurich, pour pouvoir acheter avant les autres. Il stocke, créée une pénurie, et revend quand la demande est grandissante et que les listes d'attente s'allongent.
"Le commerce de l'art est le dernier grand marché non régulé", déclarait en 2005 Peter R. Stern, procureur à Manhattan, à la revue Artnewspaper. Ce qui n'est pas pour effrayer, bien au contraire, des financiers qui s'estiment corsetés par les règles de la Bourse.
Harry Bellet et Emmanuel de Roux
Article paru dans l'édition du 17.07.07
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"On copie, on copie... Et un jour, on fait une oeuvre!" Picasso.