par Efix » 13 Mai 2011 10:26
Une fois de plus, Achim, je ne vais pas être d'accord avec toi, mais ce sera plus soft que la dernière fois, je ne tiens pas du tout à déclencher une polémique ou une bataille rangée opposant les anti ou les pro. On me parle encore de notre dernière prise de bec qui date de plusieurs années. Je ne discuterai pas du fond, même si je trouve que c'est un peu réducteur que d'affirmer que tout a été fait en matière de formes de lame, entre la Tène et le XVIIIème, bien qu'il m'arrive aussi de dire qu'on n'invente plus grand chose en la matière et qu'il suffit de visiter un grand musée des armes ou de la coutellerie, pour le comprendre. C'est vrai pour les longues lames fixes, un peu moins pour les lames fixes courtes et beaucoup moins pour la coutellerie usuelle et les fermants.
Non, je m'en prendrai à la forme. Je te l'ai déjà dit et écrit, je n'apprécie pas cette façon méprisante et péremptoire de balancer des vérités premières : achète un livre et on discute après...
On n'est pas à l'école, ici, Achim. Il n'y a pas le maître d'un côté et les élèves de l'autre !
Au début, j'ai pensé que c'était parce que tu t'exprimais dans une langue qui n'était pas la tienne et je salue cet effort au passage, mais en fait, j'ai réalisé que même dans ta propre langue, tu fonctionnais ainsi.
Le point crucial qui nous différencie, c'est, je crois, que je suis passionné par la coutellerie (et surtout par l'usage que j'ai d'un couteau) et que tu es passionné par la métallurgie.
J'ai eu ce type de discussion assez souvent avec des archéologues, des historiens : nous regardons le même objet, excavé d'une sépulture antique, je m'émerveille devant ses formes, je m'imagine l'artiste, l'artisan et la façon, en l'absence de références réelles, dont il a pu parvenir à concevoir cet objet. Et eux, ils s'extasient devant la technique. Mon musée favori est celui du Quai Branly et je l'ai déjà écrit : si l'on envisage de devenir artiste, il ne faut surtout pas y aller, car tout ou presque, y figure déjà ! On y retrouve Picasso, Giacommetti, Calder, Botero, les fauves, les cubistes, les impressionnistes et même le Bauhaus de Gropius...
Je crois vraiment que si nous discutions de la coutellerie à travers les âges, toi et moi, tu me parlerais de métal et moi de styles. Je ne dirais pas que je commence mon analyse ou se termine la tienne, parce que je considère que, concernant la coutellerie au sens le plus large, les deux sont indissociables, mais ma coutellerie à moi, c'est celle des couteliers, de leur style propre (parce que je résume en pensant que la plupart des couteliers sont au fait de certaines techniques, ce qui n'est pas forcément vrai, mais je l'ai dit, je résume).
C'est la fonction qui crée l'organe et pas le contraire, or, du Halstatt ou de la Tène au XVIIIème, à quoi servaient les lames, essentiellement ? A trucider son voisin ! Depuis le XVIIIème, les hommes ont appris à se servir de façon différente de leur couteau, en découlent des formes raccourcies, sans doute héritées des anciennes, inspirées de celles-ci, mais différentes et dédiées à des usages eux aussi différents.
L'histoire est une chose, il ne faut certainement pas la nier ni l'ignorer, mais parler comme un livre d'histoire occulte une notion capitale : celle du ressenti.
A la froideur historico-scientifique, j'oppose la chaleur du ressenti et des émotions.
Les artisans du passé, couteliers, armuriers, étaient enfermés dans un relatif académisme, même si les styles ont évolué, mais assez lentement. Bien entendu, les artisans modernes sont leur héritiers, personne ne songerait à le nier.
Jette un regard bienveillant sur la coutellerie d'aujourd'hui, oublie quelques instants cette histoire qui te passionne, cette métallurgie aussi. Considère que la coutellerie a évolué. Les artisans du passé sont pour la plupart restés anonymes, reste leur travail. Ceux d'aujourd'hui ont un nom, un style reconnaissable : un tanto de Bob Lum n'est pas un tanto, c'est un tanto de Bob Lum, que je peux reconnaître à 10 pas. Et on peut multiplier les exemples. Par contre, si on présente ici ou sur un autre forum, un tanto du 17ème, seuls quelques très rares spécialistes seront capables d'en identifier l'auteur (et à condition d'avoir de nombreux documents à disposition et de savoir lire les kanji).
Rien n'a été inventé, en matière de coutellerie, aux USA ? C'est possible, mais il n'empêche qu'aucun coutelier en Europe ou ailleurs (sauf dans les pays nordiques et en Indonésie) n'a transfiguré la notion de couteau utilitaire comme des Scagel, Randall, Ruana (qu'on aime ou pas ces couteaux) et quelques autres ! Et je précise au passage, que même si j'apprécie une certaine coutellerie américaine, c'est tout de même la coutellerie française que je préfère. D'ailleurs, j'apprécie la coutellerie dans son entier, considérant qu'il y a des choses intéressantes partout et surtout parce que je suis un curieux de presque tout.
Je ne suis pas en train d'affirmer que ta démarche est mauvaise ou dépassée, elle est TA démarche. Tu dois admettre que d'autres aient la leur, tout aussi valable et digne d'intérêt. Aucune n'étant meilleure qu'une autre, et cela ne transparaît pas dans tes propos.
Alors, puisque tu aimes à donner des conseils de lecture, à mon tour de t'en donner un : lis un recueil de poésie et respire un bon coup, ou bien relis le Dernier des Mohicans, ou bien encore les Aventures de Nick Adams d'Hemingway et tu comprendras sans doute mieux les remarques qui te sont faites, parfois, et qui n'ont rien d'attaques personnelles, mais qui sont simplement l'expression de points de vue quelque peu différents du tien, et qui ne méritent pas qu'on leur réponde par : achète un livre et on discute après !
Pour moi, les objets inanimés ont une âme et je comprends qu'on puisse penser le contraire, mais je ne changerai pas d'avis.
Voilà, c'est tout. Inutile de monter aux créneaux, c'est juste un échange de points de vue (certes divergents, mais c'est la vie, tout simplement).