PGui a écrit:
Je suis plutôt scientifique dans ma façon de penser, mais je bosse dans la recherche en agriculture, et ça rend vachement modeste sur les vérités scientifiques. On voit régulièrement des choses qui sont difficilement (ou carrément pas) explicables car multifactorielles. Et parfois, l'empirisme est un raisonnement efficace (pas le plus juste scientifiquement, mais celui qui apporte de bons résultats dans un contexte donné). Faut être modeste et accepter qu'on ne peut pas tout expliquer et que la "vérité" n'est souvent "vraie" que 90% des fois.
Du coup, j'accepte que sur de l'artisanal, le savoir-faire de l'artisan ainsi que son "environnement" (outilllage, ambiance d’atelier, etc…) sont des facteurs à prendre en compte pour expliquer le résultat de son travail et que donc il obtienne d’excellents résultats avec une méthode à priori moins bonne. Mais ça ne veut pas dire que la méthode qu’il utilise, donc la meilleure pour lui, sera la meilleure pour un autre artisan, dans un autre atelier. Et du coup ça encourage à échanger autour des différentes méthodes pour voir ce que fait l’un ou l’autre, mais sans jugement.
Je n’aurais pas le même raisonnement pour des process industriels en environnement contrôlé.
Je rebondis là-dessus car de part ma formation j'ai aussi fait un peu de recherche et expérimentation en agri.
Discriminer un facteur sur des phénomènes qui résultent de l'interaction de dizaines voir centaines de facteurs, en agriculture, donc dans le vivant, c'est extrêmement difficile, long et couteux, et avoir un intervalle de confiance de 5% c'est déjà ULTRA précis suivant ce qu'on étudie. Et à mon avis, même si la métallurgie est pas simple non plus, c'est déjà extrêmement normalisé par rapport à une étude sur le terrain quand on travaille avec le vivant, en présence de milliers d'espèces (micro et macro biologique) dont les interactions peuvent varier de la symbiose à l'allelopathie pour des raisons encore obscures. Devant une telle complexité, l'empirisme des "anciens" est très intéressant, notamment car c'est cet héritage qui guide principalement les hypothèses de travail.
Néanmoins, on oublie que la méthode scientifique repose aussi sur l'empirisme, car c'est l'expérience et la répétabilité qui permet de passer de l'hypothèse à la conclusion. Donc ya pas tellement de science vs mysticisme. Ya des trucs qui marchent, qu'on arrive à répéter systématiquement, et c'est ce qui permet de progresser avec un peu de certitudes. Car l'empirisme des anciens, il repose sur une expérience quasiment aussi vieille que l'homme, pour aboutir à des connaissances relativement peu poussées par rapport à ce qu'on peut produire aujourd'hui.
Ça, c'est pour dire que si la science n'a aujourd'hui pas réponse à tout, c'est soit qu'on la sort de son domaine d'application (les arguments pseudo-scientifiques visant à affirmer ou infirmer l'existence de Dieu sont complètement bidons, car cela relève de la croyance. De même, on ne peut prouver par a+b une proposition éthique par la science, pas son job et ça relève du scientisme) ou que l'on doit encore attendre que la science fasse son job, car comme je l'ai déjà dit c'est extrêmement couteux en ressources (dont le temps) pour pouvoir donner une conclusion avec un intervalle de confiance suffisant.
Mais je suis assez confiant sur le fait que dans la métallurgie, tout peut potentiellement s'expliquer par la science.
Je pense que dans le cas qui nous intéresse ici, faut regarder la significativité des gains potentiels selon que l'on utilise telle ou telle technique.
Jvais balancer des chiffres au pif, pour l'exemple.
Admettons que acier*géométrie*tth détermine 95% de la qualité d'une lame. Il reste 5% pour influer sur ce résultat avec d'autres facteurs.
L'eccrouissage à froid, le fait de forger ou de faire de l'enlèvement de matière (le fibrage de l'acier etc..), en font partie. Bon moi j'ai lu sur différentes sources que ça avait un effet, relativement minime a priori, et d'autant plus faible après un cycle de tth complet. Mais admettons que ça améliore la qualité de la lame à hauteur de 3 ou 4%. Ça a un effet donc. Néanmoins, en comparaison ne serait-ce que du choix d'acier, ben ça sera un peu peanut comme amélioration. Sans tenir compte des risques potentiels qu'impliquent ces étapes.
Si la forge peu a priori améliorer un peu les caractéristiques d'une lame, un gars qui surchauffe/décarbure à la forge il aura une lame de merde par rapport à du stock removal. Mais le fait qu'une lame soit forgée apporte un + , qui est plus de nature mystique/commerciale etc que technique. Ou alors peu déterminante par rapport à une multitude d'autres facteurs.
Et je suis le premier concerné car je forge aussi, et je préfère trimballer une lame forgée, parce que le savoir-faire derrière me plaît, mais j'ai pas encore su discriminer d'amélioration significative par rapport à des lames en stock. Mais ça veut pas dire qu'on ne pourra jamais mettre en évidence un effet sur ce facteur précis.
Pour finir, je ferais une analogie avec l'agriculture, sur le fait de semer en lune ascendante/descendante etc. Si on voit qu'il y a un effet, ça ne devrait pas pour autant être le facteur le plus déterminant à observer. Car si au moment de semer selon la phase de la lune, la parcelle est détrempée, envahie d'adventices, etc etc, ben l'agri va foirer son implantation de culture car il va niquer sa parcelle, tasser son sol, voir carrément embourber son tracteur au moment où il en a grave besoin.
Donc ya pas de binarité là-dedans. Ya une réelle réflexion à avoir sur l'ensemble de son process, à mettre en relation avec le choix des matériaux, des tths, de la géométrie, de l'utilisation, de l'utilisateur, de la façon d'entretenir son couteau etc etc.. et comment on sait si on fait les bons choix? On test, casse, compare avec les process et choix des autres, et si on veut persister dans un process un peu moins performant, on évite de le justifier par des arguments techniques, mais plus par des arguments de philosophie de travail, de savoir-faire à conserver, de la représentation mentale de ce travail, de la rêverie ou de l'évasion que ça peut procurer d'avoir un superbe couteau primitif old west dont le but n'a pas été la recherche de performance etc..