L'idée originelle du film, si j'ai bien compris ce qu'on m'a expliqué, était de mettre en évidence la guéguerre laguiole/Thiers, concernant l'appartenance du Laguiole, que les thiernois se sont approprié jusqu'aux années 80 (et à juste titre, puisque la quasi totalité des Laguiole était produite à Thiers) : d'où le titre.
Le problème, c'est qu'ils se sont écartés du sujet de départ, si bien qu'on ne comprend rien à ce titre, d'ailleurs stupide.
J'ai été content de revoir Alain (Dumousset), mais bon, il est à la retraite. Charlie Couttier est en fin de carrière. Il y avait d'autres entreprises et manufactures à nous montrer...
Le film est décousu, il montre ce qu'il a envie de montrer : des boutiques vides, oui, il y en a, mais ils pouvaient également se déplacer dans les zones industrielles qui entourent Thiers et on aurait pu y voir des entreprises modernes et qui vont de l'avant.
Et puis ce discours récurrent : "c'est de la merdouille asiatique, l'acier, on ne sait même pas s'il est trempé, etc...", ça, ça commence à me les briser menu. Parce que de la merdouille, à Thiers, on en produit aussi, parce que de cette merdouille asiatique, quand on ne la produit pas soi-même, on va jusqu'à l'importer (oui Monsieur)…
Combien de fois ai-je entendu : Monsieur, à Thiers, nous avons 6 siècles de coutellerie...
Ce à quoi je réponds régulièrement : et à Sheffield, ils en avaient 7, ce qui ne les a pas empêché de crever !
On peut faire le même film sur Tolède, sur Solingen...
Mais pas sur Maniago ! Eux, ils ont compris, des machines à découpe laser, il y en a en veux-tu en voilà… Et tout à l'avenant. Ils fabriquent des pliants d'une qualité et dans un genre moderne qu'aucune entreprise française n'est capable d'obtenir, je dis bien : AUCUNE !!!
Je parle bien de fermants modernes, pas de cran forcé, pas de couteaux régionaux ou néo-régionaux de classe, non, je parle d'indus comme les américains en font, les allemands, les Japonais... qu'ils soient sous-traités en Asie ou pas...
Combien de coutelleries thiernoises ont-elles une découpe laser en interne, un centre d'usinage cnc, combien ?
Ce que je déplore, c'est qu'à Thiers, on entretienne un certain esprit passéiste, l'amour du travail à l'ancienne, la tradition... OK, j'aime bien aussi, les ateliers façon Germinal, OK, c'est chouette... Mais bon, pendant ce temps-là, les autres avancent et Thiers est de plus en plus montré comme un éco-musée. Ce qui ne leur plaît pas, et on peut le comprendre, mais d'un autre côté, c'est toujours avec fierté qu'ils nous montrent les émouleurs avec leur chien sur les jambes... Presqu'à croire qu'ils regrettent ce temps-là. Ou bien les monteurs à domicile, dans la montagne.…
Donc, faut pas se plaindre si l'image de la coutellerie du Bassin Thiernois est quelque peu poussiéreuse, puisque c'est cette image que l'on a voulu donner, ou en tous les cas, que l'on a laissé donner.
Je respecte la tradition, je laisse une place de choix à l'histoire de notre coutellerie, dans mes colonnes, mais bon sang : qui n'avance pas, recule !
Nous, Français, nous plaignons beaucoup de cette éternelle image du béret basque et de la baguette de pain, mais à chaque fois que nous avons l'occasion de montrer que c'est autte chose, on laisse faire et on ressort les mêmes vieux poncifs.
Les allemands sont venus, ils ont filmé, ont fait venir le mec à la Porsche, et ils sont repartis chez eux et ont monté le film comme ils ont voulu. Et une fois de plus, on a les francaouis d'un côté, avec le kil de pif, le jambon, le saucisson et le pain de campagne... Charlie dans son usine vide, façon "dernier des Mohicans"; Alain sur son vélo ; les corbeaux qui volent sur le dos, pour ne pas voir les boutiques aux rideaux descendus... Et le schpountz dans sa Porsche... qui repart avec son beau Laguiole "made in Thiers", avec des coeurs dans la lame.
D'un autre côté, on a parlé des couteaux à la télé et à une heure de grande écoute, et pas en mal, genre "faits divers".
J'ai juste relevé un truc qui m'a un peu chiffonné : on entend Charlie admettre que la législation ait beaucoup changé les habitudes en matière de port d'un couteau...
Voilà, on accepte et on pleure et évoquant le passé… Mais bordel, on ne les a pas vus, pas entendus ! Tout Thiers, tout Nogent, Tout Opinel, Nontron et les autres, et nous, les amateurs, les collectionneurs, ceux qui en vivent, qui en tirent leur salaire, leur gagne pain, les bureaux de tabac, les armuriers... La Fédé, hein, la Fédé, elle s'est battue ? Et si oui, comme je le suppose, on ne le sait pas, elle ne communique pas (Gilles, tu le sais, on en a déjà parlé), on a fait du lobbying, on a manifesté, on est allé bloquer les Ministères, non... Parce qu'en France, c'est la tradition : pas de Guilde, pas de groupement national (pas seulement une fédé - Esprit de Thiers), chacun pour soi. OK, mais alors, faudra pas pleurer.
